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Nouvel avion de chasse: les lobbyistes déjà au combat

01.10.2017 18:01 – Dimitri Zufferey

La bataille pour le futur avion de chasse a commencĂ©. Bataille qui concerne cinq constructeurs Ă©trangers. Pourtant, les AutoritĂ©s n’ont pas encore formellement dĂ©cidĂ© de remplacer la flotte des F/A-18 et des Tiger, mĂȘme si tout le monde ou presque s’accorde sur cette nĂ©cessitĂ©. En coulisses, les pressions des avionneurs commencent dĂ©jĂ  Ă  se faire sentir. Pourquoi si tĂŽt, et comment ça marche?

Entre acrobaties et dĂ©monstrations de puissance, le Breitling Sion Airshow est un Ă©vĂ©nement populaire. DerriĂšre le spectacle, se joue une bataille entre constructeurs d’avions de combat pour un enjeu Ă  plusieurs milliards. Seulement voilĂ , Ă  Berne, le Conseil FĂ©dĂ©ral est loin d’avoir validĂ© l’achat de ces avions. Si tout va bien, le Peuple sera fixĂ© sur le modĂšle choisi en 2022.

Sur les stands, l’offensive de charme crĂšve les yeux. Airbus se paye la part du lion en sponsoring. On ne fait pas un pas sans tomber sur une casquette Eurofighter. «C’est l’armĂ©e suisse qui dĂ©cide, mais le public est aussi important parce que comme on a vu lors de la derniĂšre campagne, si le public n’est pas au courant ou si le public a trop de questions, il renonce peut-ĂȘtre Ă  une sĂ©lection», explique Alexandre Vinh, chef de la campagne Eurofighter en Suisse. Une particularitĂ© helvĂ©tique que les avionneurs ont aujourd’hui bien saisie.

En 2014, Saab, le constructeur suĂ©dois du Gripen, a Ă©chouĂ©. L’avion avait pourtant Ă©tĂ© choisi par le Gouvernement, mais son achat est refusĂ© par le Peuple. Alors, pour l’aider Ă  Ă©tablir une version des faits Ă  son avantage, Rustan Nicander, responsable des unitĂ©s Suisse et sud de l’Europe chez Saab mise sur l’appui d’une conseillĂšre en communication stratĂ©gique, qui ne le quitte pas d’une semelle face aux mĂ©dias. «C’était une question politique, un enjeu de budget. Il appartient au peuple de dĂ©terminer comment leurs impĂŽts doivent ĂȘtre dĂ©pensĂ©s. Nous pensons qu’aujourd’hui nous avons de bonnes chances, voire de meilleures chances de prouver Ă  nouveau au peuple suisse que nous avons le bon produit».

La vraie bataille se joue elle Ă  Berne, non loin du Palais fĂ©dĂ©ral, oĂč les avionneurs ont ou un bureau avec pignon sur rue ou une agence de communication pour les reprĂ©senter. En toute discrĂ©tion, ces lobbyistes s’activent sous la Coupole. Leur cible : les parlementaires, qui devront tĂŽt ou tard valider ce renouvellement. Hugues Hiltpold (PLR/GE) reconnaĂźt que d’abord les enjeux sont financiers : «Ce sont des sommes qui aiguisent les appĂ©tits, et c’est inĂ©vitable». Claude BĂ©glĂ© (PDC/VD) se souvient d’une discussion avec un des avionneurs: «Il m’a dit tout de suite: 'vous ĂȘtes dans quel secteur? On va faire quelque chose avec vous!' alors j’ai dit 'attendez, ce n’est pas intĂ©ressant, il faut d’abord aussi que vous vĂ©rifiez vous si ce que je peux vous apporter est utile. Ce n’est parce que je suis parlementaire que tout Ă  coup les entreprises avec lesquelles je peux travailler sont aussi intĂ©ressantes pour vous !». L’homme d’affaires ajoute : «ça c’est le cĂŽtĂ© ridicule de la chose.»

OpposĂ©e Ă  l’achat d’avions de combat, la plus jeune dĂ©putĂ©e analyse la pratique comme un biais Ă  la prise de dĂ©cision dĂ©mocratique. Lisa Mazzone (Verts/GE) dĂ©taille : «la Suisse, pays neutre, entourĂ©e de pays amis, ne menant pas d’intervention Ă  l’étranger, n’a pas vraiment besoin de ces avions de combats. Or, les lobbies essaient de crĂ©er ce rĂ©cit collectif, cette envie d’acheter un avion, cette envie de notre pays d’acheter un avion, et en particulier le leur».

Un point de vue que ne partage pas Thomas Hurter (UDC/SH) pilote militaire. “Ce n’est pas dĂ©rangeant car en tant que parlementaires on doit toujours aller chercher des informations”. Quant Ă  l’influence des lobbies, “ce n’est pas l’invitation Ă  un Ă©vĂ©nement ou Ă  un repas qui va nous faire changer notre opinion, ce serait trop facile”. Il poursuit : “C’est pour ça que je dis que cette influence n’est pas nĂ©cessaire et ça ne sert Ă  rien honnĂȘtement”.

Le lobbyisme n’est pas le propre des vendeurs. En coulisses, Philippe Zahno, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du GRPM, fait aussi pression. «Pour les entreprises romandes, l’acquisition du nouvel avion de chasse et du nouveau systĂšme de dĂ©fense aĂ©rien, tout cela va gĂ©nĂ©rer un chiffre d’affaires d’environ trois milliards de francs, c’est gigantesque.» Le lobbyiste tire les ficelles en faveur de l’industrie romande. Sa maniĂšre d’opĂ©rer est totalement transparente : organiser des rencontres entre avionneurs et entreprises sous-traitantes locales dans le but de les faire travailler sur les futurs avions. «Et puis, pourquoi l’économie suisse soutiendrait l’armĂ©e comme elle l’a toujours fait, s’il n’y avait plus d’affaires compensatoires ? c’est une question Ă  se poser.»

Et Lisa Mazzone de poser la question «Est-ce qu’en choisissant d’acheter ces avions de combat, on est en train de rĂ©pondre Ă  des menaces sĂ©curitaires rĂ©elles, ou est-ce qu’on rĂ©pond simplement Ă  une pression Ă©conomique et des intĂ©rĂȘts purement Ă©conomiques ?» Question qui reste encore sans rĂ©ponse. Prochaine Ă©chĂ©ance, la dĂ©finition de la mission de l’armĂ©e par le Conseil fĂ©dĂ©ral, puis Ă©valuation des avions en lice, en tenant compte de leurs capacitĂ©s, de leur prix et des contreparties industrielles proposĂ©es par les constructeurs.

(voir le vidéo de la RTS)