13.11.2025 07:46 – Fabian Strässle
Avec 96 points sur 100, la Suisse obtient presque le score maximal dans le nouveau « Global Tobacco Industry Interference Index 2025 » en matière de lobbying du tabac – seule la République dominicaine fait pire. Alors que tous les pays européens affichent de meilleurs résultats, la Suisse se caractérise par un réseau dense composé de trois multinationales du tabac, d'une trentaine de parlementaires et d'associations proches du monde économique.
Il n'y a guère d'autre pays où l'industrie du tabac exerce autant d'influence politique qu'en Suisse. L'indice du lobby du tabac 2023 classait déjà notre pays à l'avant-dernière place, devant la République dominicaine.
Le dernier « Global Tobacco Industry Interference Index 2025 (GTI) », auquel Lobbywatch a contribué, confirme cette image : la Suisse obtient 96 points sur 100. Tous les États européens et les pays de l'OCDE sont mieux classés. L'évaluation comprend 20 indicateurs dans les domaines de la transparence, des conflits d'intérêts, de la proximité politique et de l'influence sur les processus législatifs, et couvre la période de mars 2023 à mars 2025.
Les instigateurs du lobby du tabac
La base économique du lobby du tabac repose dans notre pays sur trois grandes multinationales qui dominent le marché national du tabac et comptent parmi les plus grands acteurs mondiaux : Philip Morris International (PMI), dont le siège est à Lausanne, détient 41 % des parts de marché en Suisse, British American Tobacco (BAT), à Genève, 33 %, et Japan Tobacco International (JTI), également à Genève, environ 26 %. Oettinger Davidoff, à Bâle, et Villiger Söhne, à Pfeffikon, dans le canton de Lucerne, sont également des acteurs importants dans le secteur du tabac.
Ces entreprises regroupent presque toutes les marques de tabac et cigarettes électroniques disponibles dans le commerce en Suisse, à l'exception du snus et du tabac à chicha. Leurs sites de production sont considérés comme économiquement importants dans les communes et cantons concernés. La production est destinée à la fois au marché intérieur et à l'exportation.
De la graine au comptoir – le réseau du lobby du tabac
Le lobbying commence dès les champs. Swiss Tabac est l'association professionnelle des cultivateurs de tabac suisses, membre de l'Union suisse des paysans, qui défend leurs intérêts à Berne. En 2024, environ 112 cultivateurs de tabac exploitaient une superficie totale de 366 hectares et réalisaient une valeur de récolte d'environ 14 millions de francs. Selon le rapport GTI 2025, la Confédération subventionne la culture du tabac à hauteur d'environ 40 000 francs par hectare. Ces subventions publiques favorisent indirectement les grandes entreprises du tabac qui transforment la matière première.
Depuis les champs, le tabac arrive entre les mains des groupes PMI, BAT et JTI, qui constituent le niveau suivant du réseau de lobbying. Les trois entreprises gèrent conjointement l'organisation de lobbying Swiss Cigarette, qui représente les intérêts des fabricants directement au Parlement fédéral. Son bureau est dirigé par Martin Kuonen, qui dispose d'un badge d'accès au Parlement délivré par le conseiller national valaisan Philippe Nantermod (PLR).
Une fois produites, les cigarettes doivent faire l'objet d'une promotion, puis être vendues. C'est là qu'intervient l'association faîtière de l'industrie publicitaire, KS/CS Kommunikation Schweiz. KS/CS s'oppose systématiquement aux interdictions publicitaires et a également combattu l'initiative populaire « Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac ». Sans surprise, PMI, BAT et JTI comptent parmi les partenaires privilégiés de l'association.
Le dernier niveau de distribution est représenté par Swiss Tobacco (à ne pas confondre avec Swiss Tabac), l'association suisse du commerce du tabac. L'association est présidée par Gregor Rutz, conseiller national UDC, qui occupe cette fonction rémunérée, mais refuse de déclarer le montant de ses revenus à Lobbywatch. Swiss Tobacco regroupe des entreprises du commerce de gros et de détail : de la société traditionnelle bâloise Oettinger Davidoff à la Swiss Retail Federation, en passant par Denner et la chaîne de kiosques Valora. Toutes ont un intérêt économique à ce que la loi sur les produits du tabac reste laxiste afin de ne pas nuire à leurs ventes.
Les différents acteurs n'agissent pas de manière isolée, mais font partie d'une organisation faîtière globale : l'Alliance de l'économie pour une politique de prévention modérée (AWMP). Cette dernière a été fondée en réaction aux efforts de réglementation de l'Office fédéral de la santé publique dans les domaines du tabac, de l'alcool et de l'alimentation. Parmi ses membres figurent notamment KS/CS Communication Suisse, JTI, Swiss Tobacco et Swiss Cigarette, ainsi que d'autres poids lourds du lobbying tels que Gastrosuisse, l'Union suisse des paysans, Commerce Suisse et l'Association des exploitants de stations-service, ou encore IG Freiheit. Ce large cercle de soutiens est complété par l'UDC et les Jeunes libéraux-radicaux suisses, un réseau qui relie tous les niveaux de l'industrie du tabac ayant une influence politique.
30 parlementaires ayant des liens avec le lobby du tabac
Il existe en Suisse un nombre remarquablement élevé de liens directs entre le Parlement et le lobby du tabac. Selon les recherches menées par Lobbywatch, une trentaine de membres du Parlement fédéral entretiennent des relations directes ou indirectes avec l'industrie du tabac, parmi lesquels des élus siégeant dans les commissions chargées de la réglementation du tabac, à savoir la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) et la Commission de l'économie et des redevances (CER).
On peut notamment citer :
Initiative populaire édulcorée : la nouvelle loi sur les produits du tabac
L'influence du lobby du tabac dans le processus législatif s'est clairement manifestée lors de la mise en œuvre de l'initiative populaire « Enfants sans tabac ». Bien que les électeurs aient accepté l'initiative en 2022, exigeant ainsi une interdiction de la publicité pour les produits du tabac destinée aux enfants et aux jeunes, le Parlement a édulcoré certaines dispositions centrales lors de l'élaboration de la nouvelle loi sur les produits du tabac (LPTab).
Le projet initial prévoyait des mesures importantes pour la protection de la jeunesse : la vente de produits du tabac aux mineurs devait être interdite, la publicité dans les lieux publics fortement restreinte et le parrainage d'événements destinés aux jeunes et d'événements internationaux interdit. Lors des débats parlementaires, la réglementation sur le parrainage a toutefois été édulcorée. Selon la version actuelle de la loi, le parrainage par l'industrie du tabac reste en principe autorisé, à condition qu'une manifestation publique n'ait pas « un caractère international » ou « ne vise pas un public mineur » (art. 20, al. 1, LTab). Ces formulations larges laissent une marge d'interprétation considérable et créent ainsi des lacunes.
Thomas Angeli, journaliste au magazine Beobachter et coprésident de longue date de Lobbywatch, explique comment cette atténuation est survenue. Selon lui, un ajout de la CSSS-E, qui a de facto annulé l'interdiction de sponsoring initialement prévue, est particulièrement délicat. Ce passage figurait dans la procédure de consultation dans des termes presque identiques dans les prises de position de Swiss Cigarette, JTI et BAT. « Le fait que la formulation finalement retenue soit presque identique n'est sans doute pas une coïncidence », estime Thomas Angeli. La CSSS-E compte parmi ses membres Damian Müller et Hannes Germann, deux conseillers aux États connus pour leur proximité avec l'industrie du tabac. En raison du secret de commission, on ne sait toutefois pas qui a proposé les différentes formulations. Une chose est sûre : la commission a repris des passages proposés par l'industrie du tabac lors de la procédure de consultation. Il en résulte donc l'impression que le texte définitif de la loi, malgré quelques avancées mineures en matière de protection des mineurs, reste fortement influencé par les intérêts de l'industrie du tabac.
Financement des partis : PMI fait des dons à l'UDC et au PLR
Lobbywatch a mené des recherches approfondies sur le financement des partis. Bien que de nouvelles règles de transparence soient en vigueur depuis 2023, beaucoup restent opaques. Selon le Contrôle fédéral des finances, Philip Morris International a versé 35 000 francs à l'UDC et au PLR lors des élections fédérales de 2023. Ces montants sont modestes par rapport au budget total des partis, mais ils montrent néanmoins qui représente les intérêts de l'industrie du tabac à Berne.
Le « Global Tobacco Industry Interference Index 2025 » dresse un tableau clair : avec 96 points sur 100, la Suisse occupe l'avant-dernière place mondiale, un résultat qui n'est pas surprenant compte tenu du réseau dense d'entreprises, d'associations et de membres du Parlement. Un coup d'œil sur le lobby du tabac montre ce qui manque au système suisse : la transparence et des règles claires. Qu'il s'agisse de l'attribution des badges d'accès au Palais fédéral, de l'influence sur le processus législatif ou de la traçabilité des flux financiers, il existe partout des zones d'ombre qui favorisent l'influence systématique. Tant que ces lacunes ne seront pas comblées, la Suisse restera un paradis pour le lobbying.
Remarques concernant le classement *Tous les exemples et montants cités proviennent du rapport GTI 2025 (insérer le lien complet), de documents accessibles au public, de la base de données Lobbywatch et de la plateforme l’argent+la politique.
Le rapport national suisse sur l'indice mondial d'ingérence de l'industrie du tabac (GTI) 2025 a été rédigé par le Global Center for Good Governance in Tobacco Control (GGTC) en collaboration avec l'Association suisse pour la prévention du tabagisme. Lobbywatch a notamment participé à la recherche et à l'évaluation.*